Saint Sébastien le Centurion devenu Icônes

En ordonnant la mise à mort par sagittation du centurion Sébastien, l'empereur Dioclesien ne savait pas qu'il venait de le consacrer comme l'un des saints militaires martyrs des premières églises chrétiennes.

La Confession chrétienne du Centurion Sebastien

C’est durant la persécution des chrétiens entre 303 et 311 que se situe l’exécution du centurion Sébastien. Pour avoir soutenu ses coreligionnaires dans leur foi et accompli plusieurs miracles, Dioclésien ordonne sa mise a mort. D'abord attaché à un poteau et transpercé de flèches, après avoir miraculeusement survécu, il est finalement tué à coups de bâton. 

Dioclesien 244/312

Déclarés "Athleta Christi" (champion du Christ) et "gardiens du Paradis" Son culte débute avec le plus ancien portrait connu de Saint Sébastien, une mosaïque du VIem siècle dans la basilique byzantine Sant'Appolinare Nuovo de Ravenne.

527/565 Mosaïque de Ravenne, St. Sebastien, 4ém à partir de la gauche parmi 25 autres saints.

Tous les saints martyrs sont en toge avec l’auréole et dans la main une couronne de laurier, symbole de victoire sur le calvaire. Saint Sébastien n'a en revanche ni flèche, ni archer rappelant le martyr auquel il a survécu. Au moyen-âge, il est montré âgé et barbu, le visage exprimant la souffrance, le corps criblés de flèches, tel un hérisson, comme le décrit Jacques de Voragine en 1265 dans La Légende dorée.

1370/ Giovanni del Biondo.

Coexistent alors des Sébastien semblables à des hérissons et d'autres représentés en tant que soldat, armé, mais piqué de flèches dont il semble ne pas souffrir, tel que le présente le retable de Touzon.

1410/ Louvre, retable Touzon.

C’est avec les premières épidémies de peste que se fait une relation entre le martyre frappé de flèches et la peste. Au début de l'Iliade, Apollon, le dieu-archer en colère, envoie, par ses flèches, une pestilence contre les Achéens.

« L'arc d'argent lâcha son sifflement formidable. Le Dieu visa d'abord les mules, les chiens pieds-agiles, mais bientôt son trait tranchant dirigé vers les hommes vola, sans trêve, brûlaient aux buchers, par milliers, les cadavres... ». (L'Iliade, chant 1, 49-52). » Mais dans la mythologie gréco-romaine, chaque pouvoir redoutable appelle le pouvoir inverse, le Dieu qui frappe peut, être aussi celui qui guérit. Saint Sébastien devient alors le saint thaumaturge imploré pour se protéger des épidémies de peste très fréquentes au Moyen Âge.

1470/ Hans Memling Bruxelles.

Ce que Benozzo Gozzoli illustre à San Giminiano autour de 1464, par deux fresques explicitant la protection du saint. Dans l'une, le saint subit son martyre, les archers criblent son corps de flèches.

1465/ Benozzo Gozzoli, Martirio di San Sebastiano, Collegiata

Dans l'autre, sous sa cape tenue par deux anges, il met le peuple à l'abri des flèches lancées par Dieu et une armée d'anges.

Ici la nudité est détournée. Bien que le saint soit vêtu, la chair visible et souffrante est représentée. Jésus montre sa plaie qui saigne. Marie a dégrafé sa robe montrant les seins, témoignage de sa souffrance maternelle. Tous les deux désignent du doigt Sébastien, qui ayant aussi souffert dans sa chair, joue le rôle d'intercesseur entre les hommes et la colère divine.

1464/Benozzo Gozzoli, San Sebastiano.

Le sens donné au martyre est donc clair : le corps de Sébastien est un bouclier qui reçoit dans sa chair les flèches de la peste. De ces traits mortels envoyés par le dieu, il est capable de protéger le fidèle qui l'interpelle. Cette métaphore du martyre de Sébastien est le point de départ à partir duquel les peintres, des siècles durant, proposeront d'infinies variations, renouvelant la mise en scène de la sagittation, de la chair nue, blessées, martyrisée par les flèches.

1475/ Martyre de saint Sébastien d'Antonio et Piero Pollaiolo

Représenter le saint nu permet au fidèle de constater que les blessures saignent, que les flèches sont profondément enfoncées dans sa chair, mais qu'elles sont impuissantes à l'abattre et, même, qu'elles ne troublent pas la sérénité du martyr.

1445/1462 Polyptyque de la Miséricorde de Piero dela Francesca

Dans la mythologie grecque, la peste est représentée par des flèches tirées par le dieu Apollon. En la christianisant, Saint Sébastien renouvelle la figure d'Apollon, considérée sous l'Antiquité non seulement comme l'archétype de beauté masculine, mais aussi comme protecteur des épidémies, tout en étant aussi l’exécutant de la colère des Dieux.

Apollon tirant une flèche de son carquois, Château de Versailles

Progressivement s’installe une iconographie inspirée du dieu grec Dans des poses en contrapposto idéalisé, avec souvent une absence de plaie sanguinolente. Déjà, Botticelli remplace l’homme âgé et barbu par un soldat plus jeune

1473/ Sandro Botticelli

De même, Lorenzo Costa en rajeunissant le saint, nous le propose dans une figure déhanchée plus maniéré. Le sang est encore présent, les flèches nombreuses sur un saint auréolé, portant un périzonium, précisément noué sur ce qu’il est censé voiler.

1480/85, Lorenzo Costa - Saint Sebastian

Ce tissu qui couvre le sexe sera diversement interprété. Dégageant le bassin, il semble n’être retenu que par la volonté de l’artiste de ne pas le laisser glisser plus bas, ou délibérément représentatif, comme celui d’Antonio di Bartoloméo Maineri.

1481, Antonio di Bartoloméo Maineri.

De Libérale da Verona,

1490/95 Libérale da Verona.

1495, Pietro Perugino. Remarquons le pan du périzonium qui pend très justement devant le sexe. Terminé par une frange rouge, évocation d'une turgescence...

De ce tableau, Pietro Perugino fera une petite copie avec une seule flèche sur laquelle le Pérugin inscrit son nom, en lettres d'or : <<Petrus Perusinus Pinxit>>.

1495/ Le Perugin.

Cette flèche, tirée par le premier regard posé sur le tableau, le sien, témoigne de l'amour que le peintre porte à la figure du saint.

Amour déclaré à Sébastien comme cette représentation intitulé « The Master of the Greenville Tondo » d'un peintre italien, actif entre 1454 et 1513. Disciple de Pietro Perugino, il était probablement originaire de Toscane ou d'Ombrie.

1500/1510 « The Master of the Greenville Tondo »

Le corps blême rayonne dans une belle chromie d’une carnation opalescente, avec la résignation muette d’un visage légèrement pourpré. L’unique flèche, désigne une aine dévoilée du perizonium, si bas placé que l’on en devine la rousseur pubienne.

Plutôt qu’un tissu, l’artiste a choisi un ruban qui se dénoue en glissant, autre déclaration d’amour.

Si aujourd’hui Saint Sébastien est une « icône gay » par excellence, alors même que la conception « gay » n’existait pas, dès le XIVem siécle, les représentations du saint sont érotisée. Notamment avec l’interprétation du périzonium qui permet de représenter le sexe dans des plis suggestif. Transparence pour Guidoccio Cozzarelli.

1450/ Guidoccio Cozzarelli, 

1480/Andrea_Mantegna Avec une flèche désignant clairement un sexe blessé qui saigne.

Ou bien présent sous ce ruban que met en valeur Liberale da Verona en 1485. 

Le Saint devient une caution qui permet aux peintres de représenter la nudité masculine et souvent d'exposer une homosexualité qui ne peut s'afficher, malgré que Le "gout Florentin" soit bien que connu de toute l'Europe.  

Ce que Jacopo de Barbari se permet avec cette érection pour retenir ce drap qu'il dessine

1500, Jacopo de Barbari,British Museum.

Juste avant qu’il ne décède en 1500, Leonardo del Tasso exécute un Saint Sébastien en bois, ornant le Tabernacle de l’église de San Ambrogio. Si nous le voyons nu, la trace visible indique qu’il portait un pagne en tissu. Délabré en 30 pièces lors d’une inondation en 1966, après restauration, il a été laissé tel quel.

1500/ Leonardo del Tasso- St. Sebastian, Florence. Le pagne n’ayant pas été sculpté, c'est donc une volonté de le présenter nu. Il est probable que c’est ultérieurement que l’on a pudiquement recouvert ses « genitalia »

Toutefois, cette érotisation est moins destinée aux hommes qu’aux femmes, lesquelles sont plus directement impliqué dans l’église par leur ferveur et leur piété. Toutes ces œuvres ornant les églises annonce celle de Fra Bartolomeo de 1514, aujourd’hui disparu, mais connu par une copie de Zacchia il Vecchio réalisée en 1526.

1514, Fra Bartolomeo, Copie de Zacchia il Vecchio, 1526

Le saint, présenté dans une nudité héroïque avec un périzonium, si fin que l’on en devine le sexe, prend la palme, symbole de son martyre que lui tend l’ange. Les flèches trop discrètes, les liens à peine esquissée, son contrapposto est directement inspiré de l’Apollon Sauroctone.

L’anatomie paraît si réelle et ses chairs si parfaitement colorées que les prêtres de l’église abritant la toile écoutent leurs paroissiennes confessant leurs rêveries du saint martyr. Le charme lascif du Sébastien de Fra Bartolomeo incitait les jeunes femmes à aller se confesser plus souvent que de raison.

Parce qu’il corrompait leur esprit par des pensées troubles et impures, le tableau fut retiré de l’église.

Pourtant, Le Pérugin récidive dans une représentation du saint encore plus suggestive que celle de 1495. Accompagné de Sainte Irène, selon la légende chrétienne, elle a soigné saint Sébastien après qu'il fut blessé par les archers mauritaniens sbires de Dioclésiens.

1515/1520, Le Pérugin, Sainte Irène et saint Sébastien.

Attaché, mais dépourvue de flèche, portant un regard presque enamouré à l'épouse de saint Castule, la bande de tissu qui l'entoure en se croisant sur le pubis, attire le regard qui peut en deviner la pilosité.

Dans ce tableau du cercle de Caravage, Irène soigne un Sébastien adolescent, ce qui en fait une rareté.

Irène soignant Sébastien, cercle du Caravage

Ce que n’as pas osé faire Caravage lui-même. Par contre, son amant Cecco, devenu peintre sous le nom de Cecco del Caravagigo, fait en 1611/1613 cette proposition.

Cecco del Caravaggio 1589/1620

Si l’on peut reconnaître à Cecco qu’il a bien appris les leçons de son maitre, reste que son parti pris de tenir la tête de Sébastien dans l’ombre de son bras est une vraie nouveauté. De même que ce sbire semble davantage torturer que retirer cette flèche.

Cette nudité devient un attribut définissant à elle seule le saint, déshabillé même de ses flèches. Mais, la Contre-Réforme s'en émouvant, son jugement est sévère. Elle dénonce l'incompatibilité entre l'approche dévote du thème et cette mise en évidence, par la fiction, d'un beau corps nu. Comme celui de ce bel éphèbe qui nous regarde, indifférent a la seule blessure que lui inflige, en 1575, un peintre inconnu.

En 1533,Agnolo  Bronzino le présente détaché, certes avec une flèche au flanc, intact de la blessure, mais tenant une autre, suggérant qu'il vient de la retirer lui-même... d'une plaie évanouie.

Agnolo  Bronzino

Cependant, les représentations de saint Sébastien, en le faisant passer d'homme d'âge mûr barbu et constellé de flèches à adolescent musclé au corps presque intact, les peintres font le choix de montrer le jeune martyr sous des traits presque féminins, quasiment nu, avec un corps tendrement sculpté.

Des saints Sébastien du Cinquecento, de nombreux critiques d'art, en font une lecture homoérotique. Les flèches apparaissent alors comme symboles phalliques, à connotation sadomasochistes, plutôt que comme les armes d’un châtiment.

Quant au drap qui recouvre ses parties génitales, il sert moins à cacher qu'à les suggérer, rendant encore plus séduisant sa nudité d’éphèbe apollinien. Dans la grande majorité des représentations de saint Sébastien, on peut en faire rapprochement avec Apollon. Alors que le dieu grec est décrit dans l’antiquité avec « De longues boucles noires aux reflets bleutés, comme les pétales de la pensée « le Moyen Âge et la Renaissance, interprétant le nom latin du dieu, Phoebus, qui signifie également soleil, attribuaient à Apollon, le cheveu blond.

L'œuvre qui représente le plus cette tendance est probablement celle de l'Atelier de Della Robbia, au musée du Louvre. Le relief en terre cuite émaillée ne présente aucun des symboles identifiant Saint Sébastien.

1500/1515 Della Robbia

Seule, une auréole et ce mat contre lequel il semble être attaché. Pas de flèches, pas de blessures, mais cette belle chevelure ondulée et blonde, qui encadre un jeune visage dans l'expression habituelle du saint.

Avec ce jeune homme peint en tant que St. Sébastien, vers 1500 Giovanni Antonio Boltraffio dépeint un jeune noble auréolé tenant une flèche.

vers 1500/ Giovanni Antonio Boltraffio

Si les peintres ont toutes les audaces, les sculpteurs ont toutes les retenues. Nombreuses sont les sculptures dans les églises de village, en bois, toutes restent pudiquement dans la tradition narrative symbolique. Large pagne, flèches, blessures saignantes.

Saint Sébastien, Italie, XVIém.

Bois XVIem

La caractéristique commune a tous ces sculpteurs, c'est de rechercher une pose tourmentée pour exprimer la souffrance du martyr.

Bois polychrome, Italie XVIém, a noter la rare présence de la cuirasse. 

Crépy en Valois XVIém.

Se rapprochant très fortement des représentations du martyr par les peintres, ce bois sculpté d’Alonso Berruguette chargé en 1526 de sculpter le retable de San Benito à Valladolid, réuni toutes les caractéristiques de l’iconographie du saint.

1526/32 Alonso-Berruguete

Le cheveu ondulé et blond d’un jeune homme au corps glabre d’aspect chétif porte les stigmates du tourment. Cependant, il faut noter l’absence de lien qui ne l’attache ni au pieds ni aux mains.

Vers la fin du Cinquecento, Annibale Carracci réalise un saint complétement nu, mais le sexe adroitement dissimulé par l'empennage de l'unique flèche.

1583/Annibale Carracci - 1560/1609.

L'autre nouveauté de Carraci c'est que Sébastien s'adresse au spectateur plus qu'à son tourmenteur, avec une question muette dans le regard que chacun peut interpréter.

Quant à son cousin Lodovico Carracci 1555/1619, c'est un très jeune homme aux boucles brunes qui semble danser des trois flèches qui l'on atteint.

1599, Lodovico Carracci.

Le perizonium en a glissé sur la peau lisse de la belle musculature du garçon à la fin de son éphébie. Cette période de 18 à 20 ans, constituant la phase transitoire avant l'accès au statut de citoyen revêt un caractère essentiellement militaire.

L'année suivante, l'éphèbe a forci en masse et en muscle. Sébastien ne prête aucun regard à ces flèches qui arrivent, mais ne le menace et lui de ne s'en défendre.

1600/ San Sebastiano Lodovico Carracci.

Art consommé, habileté d’artiste pour se distinguer de la pléiade de peintres qui en ce début de XVIIem font du thème de Saint Sébastien un passage obligé de leur savoir-faire.

Avec le XVIIem commence une nouvelle ère dans la représentation du martyr. Progressivement, les artistes s’abstiennent de figurer les symboles du saint. Réduisant le nombre de flèches, sans blessure sanguinolente, ni auréole.

1615/ Guido Reni, Musée du Capitol.

1617/Guido Reni, Musé du Prado.

1620, Nicolas Régnier.

1620/Nicolas Regnier.

Autre nouveauté, la scène de la sagitation disparaît complétement, s’il est représenté, l’arbre est réduit à sa plus simple expression et aucun décor environnant. Seule Sébastien occupe le théâtre de son martyr.

1625/ Nicolas Regnié.

1633/ Francesco Furini.

1650/ Michele Desubleo.

1650>/ Giovanni Antonio GALLI dit Spadarino

Par contre, cette démarche n’est pas suivie par les sculpteurs, qui tous restent dans la tradition canonique du saint.

1634, Nicolas Basset, Cathédrale d'Amien.

Eglise San Stae Venise.

Claude Dejoux (1732 - 1816), Louvre.

1668/ Pierre Puget Saint Sébastien, Gênes, basilique Santa Maria di Carignano.

Cette sculpture fait exception dans toute l’iconographie qu'elle soit peint ou sculptée, représentant toujours le saint au moment de son exécution, quelques fois avant, quand on l'entrave, ou après, quand Irène le soigne.

Ici Pierre Puget figure l’armure du centurion dont il a été dépouillé. Et si son manteau est accroché aux branches dans l’épreuve préparatoire en terre cuite, seul le casque y figure.

Pierre Puget dépeint un jeune homme effondré, on ne lui voit ni flèches ni blessures, mais on en ressent toute sa souffrance. Cette œuvre est probablement une des rares qui mette en relation Sébastien le saint et Sébastien le centurion, c'est-à-dire le commandant d’une centurie forte d’environ 100 hommes.

Avec le pied posé sur le bouclier, Puget n’as pas oublié de rappeler la métaphore du Saint « Bouclier de la Peste ».

Quelques autres représentations de Saint Sébastien.

1660/ Alessandro Rosi.

1680/ Johann Karl Loth.

1750/ Artiste Inconnu.

1760/ François-Guillaume Ménageo.

1789/ François-Xavier Fabre.

1798/ Gottlieb Schick.

1826/ John Graham-Gilbert

Et pour terminer, ce très beau St Sébastien de la Cathédrale Sé de Lisbonne qui illustre bien l’évolution des représentations du saint.

Simplement adossé a un tronc qui ne le dépasse pas, quelques trous révèlent les flèches, mais aucun lien apparent. Les yeux et la bouche fermée. Les cheveux bouclés rappelant Phébus, le burin de l’artiste nous offre un bel Apollon, paisible et serein.

Le jour de la photo, l'autel était fleuri d'un bel Anthurium rouge. Cette fleur expose un spathe rouge qui met en évidence le spadix blanc, l'épi porteur de graines. Ces graines qui donneront à nouveau la vie...

Merci de votre visite.

À suivre prochainement, Les Saints Sébastien moderne du XIXem a nos jours…