2éme partie, Eugéne Jansson, le peintre de Stockholm en bleu et des marins Suédois nus.

Grâce à ses amis, notamment le peintre Karl Fredrik Nordström 1855/1923, Jansson obtient une carte d’accès aux bains de la marine qui se composaient de deux bains froids sur l'île de Skeppsholmen, dans le centre de Stockholm.

Construits vers 1840, les bains froids deviennent obligatoires pour les régiments stationnés dans la ville. Ensuite une maison thermale sera aménagée dans les années 1870 dans une ancienne forge. Là, les "flotistas" disposaient de bains chauds dans six baignoires alignées et d’un sauna.

1886, Militärbadhuset, keppsholmen

L'usage de nager nu dans les piscines réservées aux hommes était à cette époque une pratique institutionnalisée, sinon obligatoire. Comme aux États-Unis, les piscines sont séparées par sexe dans les écoles, collèges et universités publics et privés, dans l'armée, et dans les clubs sportifs privés pour hommes. La nudité communautaire chez les hommes était considérée comme tout à fait acceptable et couramment pratiquée.

Les "Flotista" posant pour Nils Santesson.

Piscines publique de Stockholm 

Toutefois, il était bien connu que les bains publics de Stockholm étaient des lieux propices aux rencontres entre hommes. Un certain nombre de scandales ont été évoqués dans la presse.

A Stockholm comme à Paris, Londres ou Munich, ces lieux de rencontres étaient parfaitement connu. La municipalité de Stockholm en a même eu l’ironie d’éditer une carte, la « Toalettkarta » des vespasiennes locale.

Les nageurs qui fréquentent le Flottans Badhus sont essentiellement des marins, plutôt jeunes, des conscrits nouvellement enrôlés qui attirent une population plus âgée de toute origine.

Les photos du Flottans Badhus de cette époque, sont pour la plupart d’un jeune propriétaire d’une usine de fonte d’étain, Nils Santesson 1873/1960

Eté 1906, Eugène Jansson et Knut Nyman 

Bien qu’elles soient datée de l’été 1907, elles sont probablement d’avant 1907, car cette année-là, Nils Santesson purge une peine de 10 mois d’emprisonnement pour « fornication homosexuelle » suite à la tentative de suicide d’un jeune ouvrier de 22ans de son usine. Dans une lettre à ses parents, il accuse Santesson de l'avoir détruit corps et âme. Toutefois, la justice le condamne également à 3 mois de probation.

Eugéne, Knut, assis Karl Nordström et un ami

Dans l'immense atelier qu'il loue maintenant sur Katarinavägen, Jansson rassemble autour de lui une cohorte d'athlètes nu qu'il commande aux poses, examinant attentivement le jeu des muscles qu’il s’applique à reproduire sur les immenses toiles qu’il entreprend.

Par une habile organisation des figures, Jansson évoque le désir homoérotique qui muse au Badhus. Subtilement, une inclination de têtes, un regard, ou un mouvement du corps suggèrent les intentions et les attentes des hommes autour du bassin, faisant en sorte qu’une figure mène à une autre tout en gardant l'harmonie générale. 

Souvent organisé en paires ou en groupes de trois, dans chacun, les poses se font écho, évoquant ainsi le sens du rapport qu'ils éprouvent entre eux.

Plongeon d'Eugene Jansson vers 1908.

C’est à ce moment qu’il réalise le célèbre autoportrait dans son costume blanc et sandale.

Derrière Janson, 2 très jeunes marins

dont on peut reconnaitre à gauche sur la photo le garçon brun de droite

A la même époque, pour aider Knut Nyman, qui avait des difficultés avec son employeur, Jansson le recommande par l’intermédiaire du banquier Ernest Thiel au fabricant de meuble Adolf Swanson. Thiel lui avait commandé un salon pour sa maison de Djugarden que Gustav Fjaestad 1868/1948 avait dessiné. Comme Jansson, Fjaestad était membre du Konstnärsförbundet, et donc se connaissait. Bien qu’il n’y ait aucune certitude, il est possible que Knut ait participé à cette fabrication.

Mobilier Fjaestad /Swanson, vente Bukowskis Avril 2015.

Entre 1911 et 1914, pendant les mois d’hiver ou les bains froids était fermés, Jansson avait obtenu d’installer un atelier précaire dans une salle du Flottans Badhus, ce qui lui permettait de transposer ses observations des athlètes aux exercices, immédiatement sur la toile.

Athleter, 1912, Knut au sol. Le jeune homme debout pourrait être un de ses amants. Jansson n’étant pas exclusif, il avait lui-même ses privautés.

Les marins qui fréquentaient le Badhus se prétaient volontiers à poser pour Jansson. Pour eux, c’était comme être distingué parmi les autres pour leurs formes tout autant que pour leur force. Ces exercices pratiqués aux vues de tous étaient aussi une façon de séduire ceux qu’ils voulaient attirer.

Nils Santessons ,Trois athlètes dans l'atelier de Glasbruksgatan, années 1910,

Exposition de 1912 a Stockholm.

Pour ces grandes toiles, Jansson  s’attache à souligner muscles et tendons. Reprenant sa technique picturale des paysages en bleu, il applique grossièrement, des traits épais, des d'empâtement de peinture opaque et des lignes dentelées découpées dans la surface de la peinture avec la tranche d'un couteau à palette.

Ce procédé contribue ainsi à souligner la tension musculaire, tout en obtenant une harmonie et un équilibre dans une ambiance sereine qui semble préfigurer le travail de David Hockney, comme l'a suggéré Frank Claustrat.

La liaison avec Knut Nyman se termine en 1912. A 25ans le jeune homme prend son envol tandis qu'Eugéne Jansson s’engage dans des représentations figuratives expérimentales d’œuvres qui se distingues par leur construction audacieusement stylisée des personnages.

 Le dimanche, des bals étaient organisés dans la salle d'exercice de Skeppsholmen, un divertissement que Jansson transforme en motif artistique.  Des drapeaux de signalisation et des lustres brillants sont suspendus au plafond. Les marins dominent la foule dansante avec leurs vêtements sombres, et les costumes des dames d'autres couleurs ressortent de temps en temps. Bien que Jansson soit attiré par les marins avec et sans vêtements, il y avait peut-être encore une attraction particulière dans leurs uniformes. 

 Le 16 janvier 1915, Eugéne Jansson subit une hémorragie cérébrale qui va le laisser paralysé d'un côté pour les derniers mois de sa vie.

C’est Rudolf Rydström, affectueusement appelé Rulle, un lutteur qui devient son infirmier. Bien connu comme modèle dans les cercles artistiques, il a entre-autre posé pour Sacrifice pour le solstice d'hiver de Carl Larsson 1914/15, une peinture monumentale dans laquelle Rydström illustre parfaitement le style de jeune homme athlétique apprécié de Jansson.

Karl Nördstrom qui visite son ami en mai 1915, est profondément touché par la tendresse dont Rydström fait preuve à l’égard de son camarade, lequel d’ailleurs manifeste le contentement qu’il ressent en sa compagnie.

Le 15 juin 1915, Eugéne Frédérick Jansson meurt après une nouvelle hémorragie cérébrale.

Épilogue.

Peu de temps après la mort de Jansson, son frère cadet, Adrian, a détruit les dessins privés et les papiers personnels de son frère. Craignant que ces documents ternissent la réputation d'Eugène, mais aussi parce que lui-même ayant partagé ses frasques, sinon ses amants, avait peur d’être éclaboussé.

Si l’on ne sait rien des sujets des dessins détruits, des familiers fréquentant les différents ateliers occupés par Eugéne ne faisaient pas mystère des images sexuellement explicites qu’ils avaient eu l’occasion d’avoir entre les mains.

Par ailleurs, Adrian, ami de Nils Santesson, avait été très affecté par le procès pour sodomie de 1906, conduisant les autorités à une application plus strict des lois contre les homosexuels. Malgré son amitié avec Santesson, et ses différentes liaisons, Adrian avait réussi à ne pas être compromis par l’enquête.

Après le déménagement de Santesson à Paris en 1912, Adrian entretient une correspondance régulière avec lui. Bien qu'il ait réussi à détruire les documents évoquant la sexualité de son frère, ses lettres échangées avec Santesson ont été conservées, fournissant de précieuses informations sur l’homosexualité en Suède de son époque.

Article conçu d’après les recherches de :

Richard G. Mann, Professeur d’art au San Francisco State University.

Patrik Steorn, professeur agrégé de sciences de l'art, Université de Stockholm, Thèse, Naked men. Masculinité et créativité dans la culture visuelle suédoise 1900-1915

David Grahame Shane, Urbaniste, design urbain et théorie de la ville.

Giovanbattista Brambilla, Photographe, journaliste et chercheur. 

Thielska Galleriet, Sjötullsbacken, Stockholm Photos de Nils Santesson.

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