Florentius Josephus van Ertborn, l'amateur éclairé
« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années »
Pierre Corneille, fait dire à Rodrigue, dans Le Cid : « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Exprimant ainsi que le talent et les dons innés n’attendent pas les années de maturité pour s’exprimer.
Florentius Josephus van Ertborn dans son portrait a 20ans réalisé en 1804 par Jean-Baptiste Greuze aurait certainement séduit Pierre Corneille de voir en lui son Cid, Don Rodrigue.
Né presque 150ans après la 1ére représentation du 7 janvier 1637 au théâtre du Marais et presque 150ans avant la magistrale interprétation de Gérard Philippe en 1951 dans la mise en scène de Jean Vilar au Festival d'Avignon, Florentius Josephus van Ertborn est certainement celui qui représente le mieux la citation de Pierre Corneille.
Florentius descend de la famille Van Ertborn originaire du comté de Nassau en Allemagne, possédant ses principaux établissements à Anvers et à Malines dont on retrouve le nom dans les registres des échevins à partir de 1400 et leurs armoiries aux trois homards.
Son père Emmanuel François de Paule van Ertborn 1761/1818, c'est marié en 1783 avec Catherine Henriette Joseph de Witte 1758/1801. Fille d’une illustre famille de la noblesse d’Anvers.
Il a 2 sœurs, Justine 1785/1841 et Émilie Louise 1787/1843, marié en1807, avec Louis Joseph Moretus 1786/1856. Sa niéce, Emilie Joséphine Moretus 1808/1865, se marie à Charles Joseph Philippe de Brouchoven de Bergeyck, comte de Bergeyck 1801/1875. Ils ont une fille, Alix Louise Caroline Marie de Brouchoven de Bergeyck 1849/1880 mariée avec Florimond de Brouchoven de Bergeyck, Comte de Bergeyck 1839-1908. C’est à la succession en 1908 du Comte de Bergeyck que le tableau est définitivement sorti de la famille.
Saint Romuald interdit l’entrée du couvent à l’empereur Otton III.
Reconstitution partielle de la Thebaide de Fra Angelico 1430/35
Hans Memling, Portrait d'homme avec une pièce de monnaie romaine. vers 1480
Chez un tonnelier de la Mattestraat, le château au bord de L’Escaut, il découvre un grand tableau d'une vierge, œuvre d’Ambrosius Benson, 1495/1550, Deipara Virgo, provenant de la chapelle Rockox à l'ancienne église des Récollets d'Anvers.
Nicolaas Rockox 1640/1560 ami et mécène de Rubens, grand amateur d’art avec son épouse Adriana, fait construire cette chapelle lorsqu’elle décède en 1619. La maison Rockox et celle du peintre Frans Snyders adjacente constituent aujourd'hui le musée Snijders&Rockox.
Pour Florentius van Ertborn, cette découverte ne manque pas d'intérêt, rejoignant ainsi un collectionneur qui comme lui œuvre à la renommée de l'art flamand.
Ambrosius Benson, Deipara Virgo, vers 1530
Probablement acheté à Bruges en 1828 à la veuve Oyen, ce sujet ébauché en camaïeu sur un fond d'imprimeure rose n'a pas d'équivalent dans l’œuvre de l'artiste. On ne sait s'il s'agit d'un tableau inachevé, d'une grisaille, ou d'un dessin préparatoire, il contient l'inscription JOHES DE EYCK ME FECIT 1437.
Jan van Eyck, 1390/1441,Sainte Barbe de Nicomédie 1437
L’œuvre de Jan Mostaert, Haarlem 1474/1552 mérite une mention particulière, pour sa prédilection envers le thème de l’apparition de l’Ara Coeli. (en médaillon en haut du tableau) La Sibylle de Tibur qui lui est attribué est le seul tableau de Mostaert dans lequel la scène de l’Ara Coeli constitue le sujet principal. Dans une composition classique, avec les deux suivantes côté sibylle à gauche et les trois ministres côté César Auguste à droite, plus un petit page portant la couronne et le sceptre au pieds de César Auguste.
Jan Mostaert, La Sibylle de Tibur, années 1520
"Ara Coeli" vient de "Basilica Sanctae Mariae de Ara Cœli in Capitolio" une basilique titulaire de Rome, construite sur un Augustan Ara primogeniti Dei, à l'endroit où la sibylle tiburtine avait prophétisé à César Auguste qu'un enfant hébreu, le Christ, ferait taire tous les oracles des dieux romains.
Mostaert a vécu toute sa vie à Haarlem à côté d'Amsterdam, il n'est donc pas étonnant que Van Ertborn achéte l'œuvre en 1828 a Bois-le-Duc qui se trouve à environ 100km, au moment où il est à Utrech à mi-distance des deux villes.
Dans son encadrement d'origine, la Vierge a la Fontaine de Jan van Eyck acheté en 1830 au curé de Dikkelvenne, est une toute petite huile sur panneau de 19x12cm. Cet hortus conclusus, avec une fontaine symbolisant la fontaine de vie, la Vierge est vêtue d'une tunique bleue contrairement aux habitudes de l'époque où elle est vêtue de rouge. L'utilisation du rouge pour représenter les figures sacrées est caractéristique de la peinture flamande du xve siècle.
Jan van Eyck, Vierge à la fontaine, 1439
En 1828, Guillaume 1er, nomme van Ertborn gouverneur de la province d'Utrecht, poste qu'il occupe jusqu'en 1830. C'est ainsi qu'il rencontre la baronne Adriana Eleonore Joséphine van Heeckeren, 1812/1850 fille du baron Willem Frederic van Heeckren tot de Wierst, lieutenant général, adjudant général du prince Willem V. Le mariage à Utrecht en mai 1830 restera sans enfant.
Florentius van Ertborn vers 1830
Étant retenu à Utrecht, van Ertborn manque la Révolution belge de 1830. Bien qu'il soit resté orangiste, après les premières élections municipales "belges" du 9 décembre 1830, il est à nouveau nommé maire d'Anvers avec 2/3 des suffrages. Ayant refusé le poste, il est déposé en 1831 de son mandat de gouverneur d'Utrecht pour de prétendues sympathies belges.
Autrefois attribué à Memling puis à Van der Weyden lui-même, c'est en Allemagne qu'il achète en 1833 un petit panneau de 20x 12 cm. cette Annonciation est à mettre en parallèle avec le triptyque du musée du Louvre dont le panneau central présente de nombreuses similitudes.
Rogier van der Weyden, L'Annonciation, première moitié du xve siècle
La même année, c’est en Hollande qu’il achète ce tout petit panneau de 16x13cm,
Jean Clouet, Portrait du dauphin François de France, vers 1520-1525
Enchâssé dans un cadre de retable édiculaire, de 41x28cm, en ébène, richement décoré d'une variété de pierre dure et de marbre.
La construction de ces cadres est en lien étroit avec l'architecture contemporaine de la Renaissance, inspiré d'exemples de l'Antiquité classique. La forme et le style des éléments architecturaux diffèrent dans chaque cadre, mais en général, le fronton triangulaire est ouvert et repose sur une frise d'entablement incrustée de pièces de pierre décorative.
Cette rétrospective est le reflet de l'exceptionnelle qualité de la collection constituée en prospectant inlassablement toute l'Europe. Plus qu'un amateur éclairé, c'est un véritable érudit qui réunit des informations, enquête sur l'artiste, son œuvre, sachant de quoi il parle, il sait où aller.
Mais 2ans après son mariage, en 1832, à Karlsruhe, capitale du Grand-Duché de Bade, il rédige un décret qui retire sa collection d'art de son domaine pour léguer au musée de l'Académie d'Anvers la totalité des 115 tableaux qui la constitue. Plus que sa suspicion de rester sans descendance, c'est la maladie oculaire qui l'affecte, devenant de plus en plus invalidante qui le détermine à cette disposition testamentaire.
Nul doute que si elle avait pu être soigné, il aurait encore enrichi sa collection. Le Chevalier Florentius Joseph van Ertborn meurt aveugle le 28 aout 1840 à la Haye.
Ayant renoncé aux droits de succession sur la collection, le gouvernement néerlandais désigne son ami et assistant dévoué Jean-Chretien Nicolié pour superviser l'emballage qui nécessite 19 caisses, des toiles et panneaux de la maison Van Ertborn.
Buste du chevalier Florent van Ertborn, par Joseph Geefs, 1849
Le corps du collectionneur est également transféré de la Haye sa dernière résidence pour reposer dans la crypte familiale de l'église Notre-Dame de Hoboken, au côté de son père.
Tombe de la famille Van Ertborn à l'église Notre-Dame de Hoboken et blason de Florentius.
Parmi les 115 œuvres désormais conservées au Musée royal des beaux-arts d’Anvers, reste à évoquer la pièce maitresse de cette collection, la Madone de Jean Fouquet, qui par son exceptionnelle modernité mérite un article à elle seule.
Prochaine publication a suivre Mercredi 29 mars...
Merci de votre visite.