Les Pescatorello et Scugnizzo du XIXem Napolitains.
Au milieu du XVIém siècle se développe parmi la noblesse et la grande bourgeoisie l'habitude de permettre aux jeunes gens d'effectuer un voyage d'éducation aristocratique, destiné à parfaire leur éducation, tout en élevant leurs centres d'intérêt.
Appelé " Le Grand Tour" les destinations principales sont avant tout l'Italie, pour ses richesses antiques, ses arts mondialement reconnus, mais aussi la France, les Pays-Bas, l'Allemagne ou la Suisse.
Antonio Niccolini 1772/1850 et Letterio Subba 1787/1868, Vue recomposée de Naples et des antiques du Real, Museo Borbonico, 1829.
Aux XVIIIem et XIXem siècles, le Grand Tour devient l'apanage des amateurs d'art, des collectionneurs et des écrivains, mettant en contact la haute société de l'Europe du Nord avec l’art antique. De ces voyages, les jeunes gens remmènent des " souvenirs" pièces d’art et d’antiquités.
À Rome, il était de bon ton de se faire faire un portrait à côté d'un monument célèbre par un des nombreux peintres, graveurs, italien ou étrangers vivant à Rome,
Francis Basset, 1st Baron de Dunstanville and Basset 1757/1835. par Pompeo Batoni 1708/1787.
Goethe durant son Grand tour, 1787, par Wilhelm Tischbein 1751/1829.
Mais une de leur destination privilégiée était, depuis que l'on en avait fait la découverte en 1709, Pompéi et Herculanum.
Gravure XIXem, visite des fouilles.
La Casa di Marco Olconio à Pompéi. Photo XIXem de Giorgio Sommer.
Les fouilles ayant débuté entre 1738 et 1748 eurent de profondes conséquences sur l'idée que l'on avait de l'art antique et les artistes étudiant, au cours de leur séjour en Italie, jouèrent aussi un rôle décisif qui devait aboutir, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, à l'épanouissement du néo-classicisme.
Copie XIXe siècle, d’après l’antique. Faune dansant, bronze à patine brune, h. 82 cm.
Passage obligé et résidence pour se rendre à Pompéi a environ 25km, Naples est une ville fascinante et captivante, pour cette jeunesse qui la découvre.
1865, "Napoli da San Martino".
Si sa baie offre un panorama exceptionnel dominé par le Vésuve, outre d'être un des hauts-lieux de l'art et de l'architecture avec le Baroque napolitain, l'École du Pausilippe, et de la musique, avec l'Opéra bouffe, la ville est aussi connue pour ses nombreuses beautés naturelles, Posillipo, Champs Phlégréens, ou Nisida.
Vue du Lungomare di Napoli. XIXem
La population de Naples au début du XIXem siècle est majoritairement constitué par une classe populaire appelée « lazzari » la plébe rebelle vie dans une extrême précarité sous le joug de la bureaucratie royale et des propriétaires fonciers.
Après la restauration du royaume des Deux-Siciles 1816/1860, les dernières années du royaume voient augmenter la fracture entre la cour et la classe intellectuelle. S'ensuit une succession de batailles remportées par Garibaldi.
En octobre 1860 un plébiscite met fin au royaume de Deux-Siciles et donne naissance à l'État italien. On compte alors 450 000 Napolitains. Avec l'unification italienne, Naples passe d'un statut de capitale du Royaume des Deux-Siciles à celui de capitale régionale de la jeune République Italienne, provoquant de nombreuses controverses.
Entrée de Garibaldi dans Naples le 7 septembre 1860.
C'est dans ce contexte que va se développer chez les artistes l’image du Pescatorello, le pêcheur napolitain, vêtu d’une culotte courte, d’une chemise aux manches roulées et d’un bonnet rouge.
Michela De Vito, Pêcheur Napolitain, Gouache, 19ème Siècle
1817/22, Leon Cogniet, 1794/1880 Jeune pêcheur napolitain.
Michele Amodio, Pécheur Napolitain Bronze d'aprés l'antique, Souvenir du Gd.Tour vers 1890
Cette iconographie de l’imaginaire européen devient le sujet principal des peintres et surtout des sculpteurs.
Bronze d'un pêcheur napolitaine par Charles Brunin
Fortuné Layraud 1833/1913, Jeune Napolitain à la bulle de savon, 1865.
1840, Théodore Chassériau - Jeune pêcheur napolitain, assis sur un rocher.
Dans les années 1830, il était courant que les sculpteurs signent un contrat avec les fonderies qui popularisent la sculpture de réduction pour les intérieurs bourgeois. Faire ces statuettes était souvent la seule manière de survivre et d'exister pour beaucoup d'entre eux.
Antoine Moine 1796/1849 en est un exemple avec ce Pêcheur italien rêvassant de 1830/35.
La nouveauté de son art, c'est d'introduire dans la sculpture la fraîcheur et la vie dégagées du discours néoclassique. Moine ouvre la voie du retour au « naturel », devenant signe de modernité par l'expression du modelé.
Ces statuettes sont souvent par paires, comme, Jeune Pêcheur Dansant La Tarentelle et Danseur Au Tambourin, Deux bronzes De Francisque Joseph Duret 1804/1865. Crée en 1832.
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1833, François Rude, Jeune pêcheur napolitain jouant avec une tortue.
Se libérant de l’académisme, Rude se livre à une observation précise de la nature qui va changer le regard sur l’antique. C’est en 1831, lors de sa seconde apparition au Salon, qu’il montre le plâtre exécuté en 1829.
Puis en 1833 le marbre de ce Jeune Pêcheur napolitain, une des premières figures à l’équilibre entre antique et naturel. L'œuvre, empreinte d'antique, inspire un sentiment inédit de liberté, une fraîcheur nouvelle. La nudité n'est pas idéalisée et le rire franc découvre ses dents, véritable atteinte au bon goût de l'époque.
Rude présente un sujet à l'aspect populaire dont le bonnet et le scapulaire passé autour du cou,signe son origine napolitaine. Dans une attitude insouciante, visage rieur aux fossettes bien marquées, les yeux plissés, et cette bouche mutine, c'est tout le pittoresque italien qui nous est offert.
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Avec son roman cosmopolite et féministe avant l’heure, "Corinne ou l’Italie", paru en 1807, Germaine de Staël 1766/1817, met en scène une femme artiste qui tente d'avoir la maîtrise de son destin.
Portrait de Madame de Staël en Corinne, par Élisabeth Vigée Le Brun, 1808/09
Ce roman illustrant ses idées sur l’esthétique, la musique, l’architecture, les arts et la poésie est aussi invitation aux voyages dans lesquels les figures pittoresques de paysans ou de pêcheurs incarnent, pour les poètes et les artistes, la nature belle, simple et innocente, dont l'Italie du Sud serait le dernier refuge.
Parmi cette floraison d'œuvres, brille le Jeune pêcheur à la coquille de Jean-Baptiste Carpeaux 1827/1875, dont le plâtre est exécuté en 1858 pendant son séjour à Rome.
Plâtre 1858, du Pêcheur napolitain à la coquille,
Etude pour le pêcheur napolitain, Le Rieur aux pampres.
Entrée en 1844 à l'École des beaux-arts dans l'atelier de François Rude, il y travaille huit mois quand Rude lui dit : « Mon petit, je t'aime bien, mais si tu veux le prix de Rome, il faut me quitter »
Ce n'est qu’en 1854 ayant obtenu le prix qu'il se fait envoyer à Rome, le moulage du visage du pêcheur de Rude.
C'est par cette inspiration qu'il fait poser son modèle de 11ans, donnant à son sujet la grâce, l'ingénuité et l'insouciance rieuse de l’enfant, vibrant hommage rendu à son maître.
En 1863, l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, fait l’acquisition de la première édition du marbre pour sa collection personnelle. De même que son pendant, Jeune fille à la coquille, de 1867.
Paire appartenant à la National Gallery of Art à Washington
À la même époque se trouve à Rome Le néerlandais Antonius Nazarius Sopers 1823/1882 qui obtient une médaille d'or pour son Jeune napolitain jouant à la roglia, présentée au Salon de Bruxelles de 1859.
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Cependant, en Italie, un jeune homme de dix-sept ans, Vincenzo Gemito crée son premier chef-d’œuvre, le Joueur de cartes, un gamin des rues assis par terre, la tête baissée sur son jeu.
Tout l’art de V.Gemito 1852/1929 est déjà là, à l’image de ceux avec qui le jeune sculpteur a vécu,
Des enfants enjoués et débrouillards, dans une ville sans cesse en mouvement, les Scugnizzi, gamins des rues, gosses napolitains effrontés et pleins d'une vivacité fantasque.
Enfant abandonné à la naissance, Gemito passe avec eux ses jeunes années dans les rues grouillantes de Naples.
Vivant de petits métiers et observant autour de lui les artisans du quartier de San Gregorio Armeno, qui fabriquent les personnages pour les crèches, le grand art populaire napolitain.
Creche-Napolitaine-du-XVIIIe-siecle.
Vingt ans après Carpeaux, Gemito reprend le sujet du jeune pêcheur dans une version crue et authentique de la réalité quotidienne.
Pêcheur napolitain [Pescatore napoletano], 1876/77.
À vingt-cinq ans, Gemito arrive à Paris, bien décidé à y trouver sa place et fait scandale au Salon de 1877 avec le grand bronze de son Pêcheur napolitain.
Il Pescatorello Le petit garçon nu, accroupi sur un rocher, ce « crétin », ce « petit monstre », serre entre ses doigts sa prise pour qu'elle ne lui échappe. Ce véritable manifeste du vérisme napolitain choque par son réalisme, mais attire la foule des visiteurs et les critiques de tous les journaux qui le trouve " repoussant "
Le succès du Pescarollo n'est pas qu'un simple encouragement pour l'artiste, c'est la vie de ses jeunes années au contact des défavorisés comme lui, qui reconnu, le détermine dans cette voie.
En 1881, ses modèles prennent des poses plus expressives. L'allure balancée de l'Acquaiolo, ce scugnizzo au sourire aguicheur et au geste racoleur, expose une charge érotique évidente.
La scène réaliste, offre un dialogue vivant entre la gouaille napolitaine et un client invisible. Sa nudité, le socle en forme de fontaine ornée d'un mascaron situent ce théâtre dans l'Antiquité, caution justifiant l'érotisme de la nudité héroïque.
En Aout 1944, intitulée "scugnizzi nel pedriodo estivo, Napoli" avec cette photo, Wayne Miller, nous fait constater 60ans après, qu'ils ont la même tenue, et le même sourire, enjôleur…
Revenu d'un long séjour parisien, c'est à Naples, que Gemito réalise la statuette, dans une première version, pudiquement couverte d'une culotte, car destinée au roi de Naples Francesco II, en exil dans la capitale française.
1ére version du roi de Naples Francesco II.
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Au début des années 1870, arrive à Rome, Wilhelm von Plüschow, 1852/1930 dont le père est un fils illégitime du Grand-duc héritier Frédéric-Louis de Mecklembourg-Schwerin.
Tout d’abord marchand de vin, il se tourne rapidement vers la photographie de nus masculins et féminins, et change son prénom, wilhelm en « Guglielmo ».
L'époque est favorable à ce commerce de photographie, notamment les scènes dans les ruines romaines de Pompéi, caution morale pour exposer des nus « a l'antique »
Plus tard, il travaille aussi à Naples et retrouvera à Taormina son cousin Wilhelm von Gloeden 1856/1931. Arrivé en Sicile en 1878 pour soigner une tuberculose, il devient rapidement célèbre pour ses clichés d'éphèbes, dans des poses très inspirées de l'art antique.
Le nouveau magazine d'art britannique The Studio reproduit dès avril 1893 quelques clichés de ses nus.
Pluschow et Gloeden font aussi des émules chez les Italiens, avec Vincenzo Galdi, 1871/1961 amant de Pluschow,
Et même Pancrazio Bucini, 1879/1963, surnommé Il Moro,
Amant de Gloeden, ayant hérité de son fonds photographique, Bucini l'exploite avant qu'une partie ne soit détruite par les fascistes.
Ces photos très appréciées, les esthètes en commandent des clichés expédiés par la poste dans toute l'Europe chez les écrivains Anatole France, Gabriele D'Annunzio, Oscar Wilde, Marcel Proust, Richard Strauss, mais aussi le Kaiser le Kronprinz Guillaume II, le roi d'Angleterre Édouard VII, qui popularisa le nudisme, et même le roi du Siam.
Plusieurs de ses photographies sont exposées et publiées dans les plus grands magazines spécialisés, comme Jugend, créée par Georg Hirth et publiée entre 1896 et 1940 à Munich.
Der Eigene, le magazine d'Adolf Brand,
OU, Akademos, la revue de Jacques d’Adelswade Fersen
C’est au cœur de ces premières publications du début du XXe siècle qu’un sentiment homoérotique masculin émerge entre les lignes et les images. Les revues allemande Der Eigene et française Akademos offre une vision balbutiante des canons de beauté "gays" appelé à l'époque "invertis" qui alimente les débats esthétiques sur l’origine et le développement du sentiment homoérotique des artistes.
De notre point de vue contemporain, on peut se demander pourquoi ces jeunes garçons et jeunes gens ont accepté de poser aussi complaisamment. La misère de la population dont il n'est pas rare de rencontrer des fratries de 6 ou 7 enfants n'est pas la seule raison.
En Italie, mal logé, le peuple vit dans la rue et dès qu'ils sont capables de marcher, les enfants règnent sur la rue,
Territoire défendu âprement, terreau des dérives mafieuses à l’adolescence.
Toutes ces photos en noir et blanc, de 1952/59 font partie de la série Napoli de Mario Cattaneo, 1916/2004. Quittant Milan pour un voyage en Sicile, il fait une escale à Naples, fasciné par l'humanité grouillantes des ruelles, il décide d'y rester et reviendra les années suivantes.
À la campagne, au bord de mer et même en ville, les garçons vivent a demie nus, se baignent nu, épargnent vêtements et chaussures en ne les portant pas.
Très jeune, ils savent tout de la sexualité, ne font pas mystère de leur anatomie et s'amuse de leur triomphe intempestif. Alors être photographié, c'est la liberté d'être qui devient une gloire.
Gabriele Parente "Due Scugnizzi".vers 1875
Leurs parents n'ont qu'une seule obsession, protéger la virginité de leurs filles. Si les garçons se satisfont entre eux, c'est un palliatif qui évite le déshonneur et s'ils ont des privautés avec un homme, c'est du pain qui va les rassasier ou des pièces qu'ils vont remmener à la maison.
Toutefois, il ne faut pas se tromper, s'il y a eu en Italie un tourisme sexuel dès la Renaissance, à Florence, le "vice florentin " était bien connu en Europe, comme le "vizio nefando " a Venise, toléré pour diminuer le nombre de prostituées... Rome ou régnent " gangs juvéniles aux vices infâme " ou Naples ou l'on pouvait trouver facilement un "ragazzo in affitto" la plupart de ces garçons n'étaient pas homosexuels au sens d'aujourd’hui et la satisfaction qu'il pouvait trouver ensemble n'était pas perçu comme honteuse.
Les Scugnizzi, les garçons du peuple napolitain, appelés aussi " Guaglioni ", garçon coquin ou " Sciuscià" cireur de chaussure, sont présents à toutes les époques, avec les " Lazzari " plébéien rebelle, ils représentent l'âme la plus authentique de la ville.
Les Sciuscià ont envahis Marseilles, CPA 1903
S'ils ne sont plus sujets des peintres et des sculpteurs, ils sont toujours bien présent et les ruelles de Naples n'ont pas fini de raisonner de leurs cris et de leurs jeux effrénés.
Bien qu'il n'y ais plus de cavalcade pour rejoindre la mer à moitié nu, c'est à bord de leur Vespa pétaradante qu'ils zigzag avec brio.
À Naples, c'est la liberté d'être qui est le sel de la vie...
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