L’énigme Hans Frohne

De ce peintre allemand, on ne sait rien d'autre que les 4 lignes que lui consacre Hans Vollmer dans son Encyclopédie générale des artistes plasticiens du XXe siècle. Avec près de 3000 pages, les 6 volumes ont été publiés par Seemann Verlag à Leipzig...

Akte an der Küste, juin 1931, 100x165cm.

On peut y lire qu'Hans Frohne né à Dresde en 1905 serait mort après 1955. Cette date, fictive, correspond aux dates de la publication de l'Encyclopédie entre 1953 et 58.

Peintre de figures, il aurait étudié à l'académie de Munich à partir de 1922, mais la liste des étudiants de l'académie ne le mentionne pas. Vollmer précise que Frohne a vécu en Italie longtemps, puis c'est installé ensuite à Berlin.

Halbakt eines Knaben.1932, 95x72cm.

Cette présence à Berlin est confirmée en 1937/39 par une courte citation à propos d'un peintre, caricaturiste et dessinateur allemand, Gerhard Richter, Cobourg 1919/Lemberg 1944 :

" À partir de 1922, enfance et jeunesse à Berlin et Dahlewitz, séjours réguliers à Cobourg, début de l'art, influencé par Hans Frohne à Berlin, 1937-39 études à l'Académie de Berlin, entreprend des voyages d'études dans les Balkans.1939, services du travail et conscription dans l'infanterie. 1944, destructions de la maison parentale à Berlin avec la plupart des œuvres de sa vie." https://www.mehlis.eu/en/catalogs/8617/item/4499/

De ce peintre, il existe des autoportraits à 16 et 19ans

Il n'est pas impossible que Gerhard Richter ais posé pour Hans Frohne en 1937/1940

On trouve une autre trace d'une présence éventuelle à Berlin dans : "Westermanns Monatshefte August 1937, Publisher: Braunschweig, Druck und Verlag von Georg Westermann,

Avec en couverture, Knaben in der Landschaft de Hans Frohne illustrant un article sur l'exposition du printemps 1937 à l'Académie prussienne des arts de Berlin. https://pictures.abebooks.com/inventory/31110232604.jpg

À cette exposition berlinoise, Hans Frohne présente 5 tableaux sous les N° 107/ Knaben in Landschaft. 108/ Erzgebirge. 109/Der Weg, reproduit dans le catalogue. 110/ Böhmische Landschaft, et 111/ Schlafende Prinzelffin.

Mais à part la photo de Der Weg dans le catalogue et celle de Knaben in Landschaft en couverture, 

aucune n'existe pour les 3 autres tableaux dont pour le moment, il n'y a pas de trace. https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/adk_soa_1937_198

C’est cette même année 1937 qu’Adolf Ziegler et Joseph Goebbels organisent à Munich l’exposition « Art dégénéré ». Du 18 juillet au 31 octobre 1937 pour la grande exposition d'art allemand,

et du 19 juillet au 30 novembre 1937 pour l'exposition d'art dégénéré de plus de 650 œuvres d’art de l’avant-garde. L'entrée gratuite attire 2 millions de visiteurs.

L'art du Troisième Reich se caractérise par un style réaliste romantique basé sur les modèles classiques. Tout en interdisant les styles modernes dit « dégénérés », les nationaux socialistes favorisent les peintres qui exaltent, dans un style graphique traditionnel, les valeurs « Blut und Boden » (de sang et de sol) de pureté raciale, de militarisme et d'obéissance.

Grande exposition d'art allemand, 1937, salle principale des peintures. Dans le fond, place de choix pour Die vier Elemente: Feuer, Wasser und Erde, Luft d'Adolf Ziegler.

Salle principale des sculptures, de la Grande exposition d'art allemand, 1937.

Au fond de la salle, Kameradschaft de Josef Thorak. Arno Breker, professeur à l’École supérieure des beaux-arts de Berlin présente aussi plusieurs sculptures. 

L'art nazi célèbre également le Volk (peuple) à l'œuvre dans les champs, le retour aux vertus simples du Heimat (l'amour de la patrie), et les activités féminines de procréation et d'éducation symbolisées par le slogan « Kinder, Küche, Kirche » (enfants, cuisine, église).

 Adolf Ziegler (1892–1959), Die vier Elemente: Feuer, Wasser und Erde, Luft,1937,

L'oeuvre dans l'appartement privé d'Adolf Hitler.

https://www.historisches-lexikon-bayerns.de/Lexikon/Große_Deutsche_Kunstausstellung_%281937-1944%29

C’est donc parce qu’il respecte ces codes qu’Hans Frohne est invité à participer à cette exposition. De lui, on ne connait qu'une trentaine de tableaux, tous de grands formats, entre 1,5 et 3 m2, signés et datés, le mois en chiffre romain et les 2 derniers chiffres de l'année, exécutés entre 1931 et 1942.

Der Reingen,1934, 196x140 cm

Cette récurrence de grands formats indique qu'il avait une aisance financière suffisante pour pouvoir acheter son matériel, surtout les quantitées de couleurs necessaires pour couvrir ces grandes surfaces. Mais aussi un atelier ou du moins une pièce suffisamment grande pour pouvoir les manipuler.

Der Schwebende, 1935, 170x160cm

Dans l'art officiel allemand, les images des hommes, et encore plus celles des femmes, sont fortement stéréotypées, avec une perfection physique exigée pour les peintures de nus. Les sexes masculins sont d'une taille réaliste et non celle de la nudité grecque

BEGEGNUNG, 1939, 200x133

Cependant, pour les artistes, il s'agit moins de " réalisme ", que de créer une image idéale, pour l'éternité. Les femmes sont donc mères ou épouses et les hommes ouvriers, paysans ou soldats tous jeunes et bien formés.

Weiblicher Akt im Urwald, 1936, 110x85cm

L'iconographie de Frohne est exclusivement constituée de figures nues, principalement des jeunes gens dans des poses sophistiquées qui cherchent à mettre en valeur musculature des uns ou formes féminines des autres, exposées sans pudeur.

Hingestreckt auf heißem Sand, mars 1938, 151x150cm.

Cela étant, l'idéal nazi ne laisse aucune place à la vieillesse, donc pas de chair avachie, signe de déclin. Aussi chez Frohne, s'il n'y a aucune personne âgée, on ne trouve qu'un enfant avec Knabe als Fortuna d'avril 1941.

Les figures évoluent sur des fonds très travaillés, souvent avec des effets de lumière et quelques fois des paysages indéfinis censés célébrer le "Heimat" ou le "Volk" que se doit d'illustrer la peinture "officielle" de l'art allemand.

Rast am Flußufer, 1939, 182x162

Cependant, Frohne fait aussi se côtoyer des figures sans que celles-ci racontent une histoire.

Enlightenment, fev.1940, 170x160cm.

Inspiré des thèmes classiques, Knaben im Paradies de 1935 dépeint sur une toile de 150x125cm, Caïn et Abel adolescent dans un paysage plutôt austère pour le paradis et sans l'arme de Caïn, la mâchoire de bovin.

 En suggérant l'un venant au secours de l'autre, Frohne réécrit une histoire conforme au discours nazi sur l'enseignement de la jeunesse allemande.

De son passage en Italie, Hans Frohne en revient chargé de carnet de croquis qui lui permette de s'inspirer surtout des sculptures, mais c'est à la Glyptothèque de Munich, musée accueillant une collection de sculpture grecque qui inspire son Sinnender de 1938.

Le tableau presque carré de 167x157cm est directement repris du Faune Barberini, la statue découverte sous le pontificat d'Urbain VIII (1623-1643) au château Saint-Ange, à Rome.

Etat actuel du Satyre endormi, plus connu sous le nom de Faune Barberini.

Cependant, que le marbre probablement de la fin du IIIe siècle av. J.-C avec ce visage très expressif, bouche entrouverte, cheveux en bataille et traits marqués, représente le sommeil de l'ivresse,

Copie d'Edmé Bouchardon 1726/30.

Frohne dépeint un jeune homme songeur avec ce même bras relevé sur la tête, comme sa jambe droite qui n'en révèle pas moins le sexe de la même façon que le marbre l'expose frontalement.

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Die Erleuchtung, 1940, 170x160

Phaéton est aussi un sujet très inspirant pour Frohne qui le représente comme désarticulé après sa chute.

Der Gestürzte, 1939 147x122 cm.

Généralement, c'est la chute du fils du dieu Soleil qui est représentée,

 Rarement Phaéton a terre comme le marbre du Parisien Dominique Lefevre. 1700/1711.

D'autres inspirations sont à retrouver dans l'œuvre d'Hans Frohne, mais ce qui désappointe le plus ses amateurs, c'est cette brutale coupure qui le fait disparaitre après Pastorale II de mai 1942

et Mysterium II de juin 1942, scéne d’un couple enlacé après l’amour

Probablement le dernier de ses tableaux, à moins qu'ils ne s'en trouvent d'autres à venir sur le marché comme en 2018, ce très rare paysage, Im Gebirge & Blick in eine Ebene, 110x86cm de 1941/1942

Bien que les Britanniques, à partir de 1942, puis les Américains, à partir de 1943, se lancent dans de vastes bombardements qui visent les villes allemandes, cherchant autant à détruire le potentiel industriel qu'à briser le moral de la population, cette stratégie échoue. La population ayant fui Berlin n'est que de 300 000 habitants sur près de 4,5 millions subissant les effets tragiques de ces attaques aériennes. 

Hans Frohne en est-il une des victimes ? Si vous avez des informations, merci de me les communiquer.

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