Endymion ou l'avènement du Romantisme
En vertu du principe, "le droit de tout individu à la liberté et à l'égalité " fondement même de la République, la Convention décide le 8 aout 1793 de supprimer toutes les académies royales.
Cependant, les Prix de Rome déjà attribués sont maintenus, ainsi Anne-Louis Girodet prix de Rome en 1789 passe de Pensionnaire du Roi à Pensionnaire de la République. Quasiment libre de toutes ses initiatives, il échappe aux règles strict de l'Académie et du moule dans lequel il devait se fondre.
À Paris, le Salon exposant les artistes vivants, crée en 1693, s'ouvre un siècle plus tard dans le Salon carré et la Grande Galerie du Louvre alors que la France est assiégée par les armées de la coalition.
Le Salon Carré ouvrant la Grande Gallerie.
Organisé les 10 et 11 aout 1793, a l'occasion de l'inauguration du Musée au Palais du Louvre, la manifestation qui réunit 250 artistes, peintres et sculpteurs, a pour objectif d'affirmer la liberté des artistes et des arts, lesquels clament haut et fort :
" Les artistes ne craignent point le reproche d'insouciance, ils sont libres par essence ; le propre du Génie, c'est l'indépendance !"
La Grande Galerie
Parmi eux, il en est un qui va doublement affirmer cette indépendance, d'une part vis à vis du courant neo-classique qui prévaut en cette fin de XVIIIem siécle, d'autre part, en s'affranchissant de l’enseignement de Jacques-Louis David son maitre.
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Pour l'envoi de 1ére année, une figure peinte d'après nature, grandeur naturelle qu'il se doit d’exécuter en tant que pensionnaire de l'Académie de France à Rome, à 24ans, Anne-Louis Girodet à l’audace d'envoyer Effet de lune ou le sommeil d'Endymion.
Contestataire, se refusant de respecter à la lettre l'enseignement de son maître, l'impétueux Girodet a l'ambition de réaliser "quelque chose de neuf".
À l'époque, le nu idéal reste d'inspiration antique et le nu héroïque cher à David, chantre des musculatures marmoréennes, se dissout avec le pinceau de Girodet et plus encore dans sa palette. De ce tableau se dégage une étrangeté surprenante qui le singularise et le démarque du néo-classicisme.
Endymion, nimbé d’une lumière lunaire, évocation de Séléné, contraste avec l'obscurité de la scène, donnant au corps du berger un effet vaporeux. Cette originalité poétique marque la naissance du mouvement romantique initié avec ce tableau par Anne-Louis Girodet, dont on peut mesurer toute la détermination dans cet autoportrait au bonnet phrygien.
Rappel de la journée du 20 juin ou le peuple parisien à envahi les Tuileries et coiffé le roi du bonnet rouge.
Le Roi coiffé du bonnet phrygien, puis buvant à la santé de la Nation.
❀ Anne-Louis Girodet De Roucy, 1767/1824 du nom d'une petite terre qu'il a reçu a sa naissance, né à Montargis, d'Antoine Florent GIRODET, un hobereau, seigneur du Verger, directeur des domaines du Duc d'Orléans et d'Anne-Angélique Cornier, plus jeune de 12ans que son mari. L'ainé du couple, Antoine Etienne GIRODET nait en 1757, son cadet Anne-louis 10ans plus tard en 1767.
Doué pour les lettres aussi bien que pour les mathématiques, pour le violon aussi bien que pour le dessin, à 7ans il est mis en pension à Paris sous la tutelle d'un ami de la famille, le docteur Trioson qui se révèlera déterminant dans la carrière de son pupille.
Portrait de Benoit Francois Trioson 1736/1815, Médecin des armées du roi, A-L. Girodet 1790.
En 1783, Girodet entre à l’École royale des élèves protégés de l’Académie des Beaux-Arts, ce qui va grâce à la recommandation de Joseph Vernet lui permettre d'être présenté à Jacques-louis David.
Outre d’avoir un réel talent en peinture, l’excellent latiniste, bon traducteur et connaisseur des classiques latins et grecs, ne pouvait qu’intéresser le latiniste qu’était lui-même David.
Atelier de David au Louvre
À la fin de l’année, Girodet quitte sa pension pour s'installer définitivement chez le docteur Trioson et à 17ans rejoindre les meilleurs des 400 élèves que David a formés et classe 3ém de sa liste avec Jean-Germain Drouais, François-Xavier Fabre, Anne-Louis Girodet,François Gérard, Antoine-Jean Gros, Jérôme-Martin Langlois...
6ans plus tard, en 1789, il devient lauréat du prix de Rome.
❀ Au salon, l'œuvre de Girodet ne manque pas d'interpeler. La critique mitigée déplore l'éloignement du thème antique de la représentation du nu du courant néo-classique où la ligne est primordiale, comme le représente David en 1788 avec Les Amours de Pâris et Hélène.
Tandis que le jeune Girodet met à l’honneur l’imaginaire, les sentiments, la sensibilité, la maladie d'amour…Sentiments appréciés par les auteurs romantiques, il fait sensation auprès de Balzac, Baudelaire et Chateaubriand.
1790/91 Étude pour Endymion endormi
Mais ce qui trouble et attire, c'est la représentation inhabituelle d'un jeune homme aux traits fins, la hanche prononcée, un petit ventre rond.
Le corps androgyne imberbe qui s'abandonne, les fins cheveux bouclés ornés d’un petit ruban doré, et ces sandales qui lui font un pied féminin.
Cependant, on reconnait au jeune peintre le talent d'avoir remplacé Séléné par son rayon de lune qui transperce la frondaison pour venir caresser Endymion.
Et comme dans tout tableau d'une scène amoureuse, il y faut un éros, c'est Zéphyr qui écarte la ramure pour mieux ouvrir le passage.
Curieusement, Girodet, figure le sexe de la personnification du vent de l'ouest alors que son attitude de 3/4 ne l'oblige pas.
Ce faisant, c’est une semi-érection qui rend visible cette coquetterie, allusion sibylline aux inclinations de Girodet, jamais prouvées, mais dont l'œuvre transpire l'homoérotisme.
Comme pour la frise qui orne le manteau avec ce dessin, délibérément phallique…
Mais ce qui est surprenant, c’est ce médaillon qui pend du manteau. Presque invisible s’il n’est agrandi, dans lequel se dessine un visage couronné de laurier.
Lui-même, avec les lauriers du Prix de Rome reçus a la 3éme tentative, aprés un 1er échec et l'accusation de tricherie pour la 2em.
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Pour concevoir son Endymion, comme ses prédécesseurs, Girodet, c'est inspiré de la fable latine tirée du Dialogue des dieux, écrit par Lucien de Samosate, 120/180 relatant un dialogue entre Vénus et la Lune, magistralement repris par Girodet dans sa figuration. https://mediterranees.net/mythes/lucien/dialogues_dieux/lucien11.html
S'inspirant aussi de l'iconographie qu'il a pu approcher à Rome, tant peinte que sculptée, comme le Sarcophage en marbre du début du IIIe siècle après J.-C.
Détail du sarcophage représentant le mythe de Séléné et d’Endymion, 200-230 ap. J.C.
Ou cette figure en marbre excavé Via Appia a Rome par par Gavin Hamilton 1775/76 datant de -101-200.
Et bien sur, des tableaux
1713, Sebastiano Ricci, 1659/1734
1756, Nicolas Guy Brenet, 1728/1792
Le Dominquin, Diane et Endymion, Fresque, Salle de Diane, Bassano Romano, Villa Giustiniani & Palais Odescalchi
❀ De tout temps, Endymion, berger de la mythologie grecque ou roi d'Élide selon les versions, est compté parmi les plus beaux. Beauté comparable à celle d'Adonis, Ganymède, Hyacinthe, Hermaphrodite, Hylas et même celle de son propre fils Narcisse.
Endymion, 1748, Asmus Frauen, Parc SansSouci
Aussi, dès son exposition, le tableau fait grand bruit dans la landerneau pédérastique de l'époque, tant l’homosexualité masculine est un phénomène répandu dans l’élite sociale, laquelle n’empêche ni le mariage, ni la paternité.
Favorisé par certains hommes de lettres, les littératures licencieuses et les écrits du Marquis de Sade, en cette fin XVIIIe, à Paris, existe une vie sodomite qui se développe dans un entregent spécifique. Pédéraste, bougre, antiphysique, sodomite, on assume ou percoit cette sexualité, diféremment selon que l'on est dans l’aristocratie, le haut clergé ou les gens de métiers.
Des nombreuses copies qui fleurissent, celle de l'entourage de Girodet, exprime bien cet engouement.
Jusqu'à s' affranchir du code qu'impose de ne représenter le sexe d'un homme qu'avec celui d'un enfant...
Et pour que nul ne s'y trompe, ce n'est pas l'amoureuse Séléné, déesse de la lune qui s'entrevoit, mais Éros qui déclare sa flamme au bel Endymion.
Parmi les esquisses de Girodet, réapparait vers 1900 à l'occasion d'un leg au Musée Girodet de Montargis, celle ayant appartenu au peintre Alexandre Dumeis. Exécuté vers 1791/92 elle présente quelques variantes, deux lances au premier plan, l’arc est à gauche aux pieds d’Endymion, le carquois est moins décoré. Pas de dessin ornant le bord du manteau et la médaille qui en pend est à peine esquissée. Pas de mèche de cheveux sur le côté droit, et celle de gauche est moins importante.
Cependant, son intérêt est moins dans ces différences que dans l'identité de ce peintre dont on se demande comment il a pu avoir ce tableau entre ses mains.
François Antoine Dumeis,1808/1864, dit Alexandre Dumeis, né à Paris de père inconnu et de Catherine-Pélagie BIDET sa mère, âgé de 40ans sont recueillis en 1808 par le docteur Trioson dans sa propriété du Bourgoin.
Portrait d’Alexandre Dumeis, 1831, François-Hippolyte Debon, 1807-1872
Un an avant qu'il n'adopte Girodet qui devient son héritier et 4ans après la mort de son fils unique. À-t-il vu en ce bébé l'image de ce fils ? Toujours est-il qu'il dote l'enfant Alexandre Dumeis dans son testament et nomme Girodet exécuteur testamentaire jusqu'à la majorité de celui-ci.
A.Dumeis, Intérieur de l’Église Sainte-Madeleine avant sa restauration,1854
On comprend comment, chargé de cette tutelle, Girodet s'attache à en faire un peintre et lui fait cadeau de cette étude.
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Destin incroyable que celui du docteur Benoit Francois Trioson qui n'eut qu'un seul fils légitime, mais en a élevé 4 à commencer par Anne-Louis, 8ans qui entre dans sa vie en 1775 et devient son héritier en 1815.
Puis le fils de sa femme, Pierre-Eugéne Brouet, dit Rommainville mort à 13ans et demi en juin 1797.
Et le fils qu'elle lui donne en 1790, Benoît-Agnés dit Ruhehaus qui meurt en juin 1804, ici avec son père dans " La leçon de géographie"
Déjà veuf de sa femme Marie-Jeanne, décédé aux Bourgoins en septembre 1796, le docteur se retrouve seul et sans descendance. Dès lors, comment ne pas avoir pour Francois-Antoine, garçon en langes de quelques mois qui arrive inopinément en 1808 aux Bourgoins, l'attachement d'un père triplement éploré.
Il était donc naturel pour lui de doter le garçon de 7ans d'une somme de 40 000frs pour le lancer dans la vie lorsqu'il meurt en 1815.
Exécuteur testamentaire, Anne-Louis Girodet Trioson meurt en décembre 1824 dans sa maison de la rue Neuve Saint-Augustin a Paris, sans testament, c'est sa nièce Rosine Girodet qui est son héritière. Marié au début de l'année à Denis Etienne Becquerel notaire à Chatillon-Colligny, c'est lui qui gérera l'héritage.
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