Naissance d’une œuvre 1/4

Aristide Maillol, Le cycliste, 1907/1908

Quelques fois la naissance d'une œuvre est la conjonction de plusieurs talents dans lesquelles le hasard à sa part. C'est le cas d'une sculpture emblématique d'Aristide Maillol, le Cycliste, un des 3 seuls nus masculins qu'il a réalisés avec un Athlète, un Guerrier mourant et ce jeune Cycliste qui devait être à l'origine une représentation de Narcisse, le demi-dieu d'une grande beauté qui met les hommes et femmes à ses pieds.

La premier de ces talents, c'est celui de Harry Clemens Ulrich comte Kessler, qui a défaut d'être diplomate pour son pays, le devient pour les arts.

Harry Clemens Ulrich comte Kessler 1868/1937

Né en 1868 à Paris d’un riche banquier de Hambourg et d’une très belle aristocrate irlandaise, le couple est anobli par le Kaiser Wilhelm 1.
Harry grandit et étudie dans trois pays, l'Allemagne, la France, l'Angleterre, voyage à travers le monde.

Harri Kessler 20ans en 1888

Ayant obtenu son diplôme d'avocat pour satisfaire son pére, il deviens éditeur de la revue Pan fondé par Meier-Grafe, mais aussi Librettiste "le Chevalier à la Rose " rien moins, avec Hugo Hoffmanstahl et last but not least grand collectionneur, mécène des arts. Mettant sa grande culture, son trilinguisme et son gros héritage au service des artistes,

Harry Kessler par Edvard Munch (1906).

Il se constitue un carnet d'adresse impressionnant d'artistes, d'écrivains et d'intellectuels. En 1918, il est l'un des signataires du Traité de Versailles et l'instigateur de la Société des Nations, puis du socialisme en Allemagne, ce qui lui vaut le titre de "Comte Rouge".

C'est de cet "entre" élitiste et Européen, depuis cette position diplomatique d'intermédiaire et d'entremetteur cosmopolite, qu'il écrivit les quelque 15 000 pages d'un journal tenu durant 57 ans, dans lequel apparaissent plus de douze mille personnes.

Harry Kessler, « un oiseau rare dans la fin Wilhelminiénne de Berlin, voletant entre les bals de cour et les salons artistiques » avec son teckel, Fips.

A ses talents il faut ajouter une volonté opiniâtre pour obtenir une représentation de ce qu’est son ’idéal de beauté. Pour le comte Kessler ce sont les hommes se baignant nus dans les rivières Autrichiennes, les garçons de la classe ouvrière qui se battent dans un ring de Whitechapel. C'est l'attraction des jeunes marins belges en congé, ou Nijinski se produisant sur scène.

Pour lui, le corps nu et le beau visage humain étaient l'alpha et l'oméga du grand art.

Le deuxième talent c'est celui d'un artiste, qui s'étant fait connaitre comme peintre et ne trouvant plus de justification dans cet art, s'en détourne pour la céramique et surtout la tapisserie pour laquelle il ouvre un atelier.

Aristide Maillol  vers 1885 élève de Cabanel 

Maillol dans son atelier de tapisserie a Banyuls,

Ce n’est qu’en 1895, qu’il aborde la sculpture, parce que ce qu’il recherche dans son art, c’est "la forme"
Il réalise des terres cuites que ses amis nabis admirent et représentent dans plusieurs de leurs œuvres : Maurice Denis, Xavier Roussel, Edouard Vuillard, Pierre Bonnard, Une étroite amitié unira ces artistes toute leur vie.

Pierre Bonnard 1902

Les premières sculptures de Maillol, en bois, puis ses modelages en terre, Vénus ou baigneuses debout, accroupies, se coiffant, évoquent la statuaire grecque archaïque. La perfection des formes de Léda impressionne Rodin et Mirbeau. Ce dernier en fait l’acquisition en 1902, lors de l’exposition à la galerie Vollard à Paris, qui rencontre un grand succès.

Danseuse, 1896, bas-relief en bois, Musée d'Orsay, Paris. 

C’est sur les conseils d’Auguste Rodin, Octave Mirbeau et Maurice Denis, que le comte Kessler, rencontre un dimanche d'aout 1904, Maillol chez lui à Marly. A 36ans, le riche amateur éclairé, devient son plus grand admirateur et rapidement son mécène.
Maillol répétait souvent que cette rencontre fut une des plus belles chances de sa vie.

Le troisième talent c'est celui d'un garçon de 16ans, Gaston Colin 1891/1957 cycliste passionné qui fait lui aussi de sa rencontre avec le comte Kessler, « l’une des plus belles chances de sa vie."

On ne sait dans quelles circonstances Gaston Colin 1891/1957 rencontre le comte Harry Kessler

Les photos de Gaston a la piscine de Corbeil ne sont pas daté, est-ce à cette occasion que la prestance et le charme de l'homme de 40ans séduise l'adolescent de 16ans qui fut un temps jockey ?

Ils deviennent amants, mais s'il a rêvés de participer au cinquième tour de France 1907, remportée par Lucien Petit-Breton, du 8 juillet au 4 août avec 93 participants, dont 33 finalistes à Paris, le nom de Gaston Colin n'est pas parmi eux.

Toutefois, il est prouvé que Colin a participé à des courses cyclistes en France, en Italie et en Espagne, non pas en tant que concurrent, mais très probablement en tant que mécanicien. C’est pourquoi il est rapidement le chauffeur du comte Kessler.

Pendant la guerre de 14/18, il sert comme mécanicien au 36e Régiment d'artillerie à Moulins, et après les années 20 il aurait été marié à une certaine Lucie. Quelle que soit l’implication de Colin dans le Tour, Maillol a réalisé la première statue connue d’un coureur cycliste, faisant un lien significatif entre le sport et la guerre symbolisée par son "guerrier mourant".

A suivre l'histoire du Cycliste à travers ses trois inspirateurs...Naissance d’une œuvre 2/4 - 3/4 - 4/4