Le Chanteur florentin du xve siècle, sculpture de Paul Dubois.
Alors qu'il revient à Paris après avoir passé 4ans à Rome, le sculpteur Paul Dubois, présente au Salon de Paris de 1865, le modèle en plâtre " Chanteur florentin du xve siècle".
Paul Dubois 33ans par Jules- Elie Delaunay.
L'œuvre, un des plus vifs succès de l’histoire de la sculpture française, obtient la Médaille d’honneur du Salon et, fait rarissime, est immédiatement suivi d'une commande de l'état.
Aujourd'hui conservé au musée d'Orsay, la statue en bronze argenté est fondue début 1866 aux Ateliers Barbedienne de la rue de Lancry à Paris.
Des deux autres exemplaires réalisés, celui conservé par Barbedienne fut exposé à l'Exposition Universelle de Paris en 1867, puis à celle de Vienne en 1873, et à encore à Paris en 1889.
L'autre exemplaire est acheté par la princesse Mathilde, qui tenait sous le Second Empire l'un des plus brillants salons artistiques et littéraires.
Une version modifiée a été exécutée en 1867 pour la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague.
Si le jeune homme, appuyé contre une colonne, est toujours vêtu à la florentine, son pourpoint descend à mi-cuisse, couvre les fesses et le pan d'un manteau jeté sur l’épaule dissimule le haut des chausses, lesquelles faisaient l'objet de critiques pudibondes.
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Élève intelligent et studieux au lycée Louis le Grand, Paul Dubois, échouant à enter à l’École polytechnique, s’inscrit à la Faculté de Droit. Bien qu’il y réussisse, n’ayant aucune vocation, c’est vers la composition musicale qu’il se tourne avec l’agrément bienveillant de son père. Mais son amour de la musique est insuffisant à compenser son manque de talent.
Réaliste, s’il échoue encore une fois, toutefois la musique sera très présente dans sa vie. Par sa grand-mère, Aglaé Sophie PIGALLE, le jeune Paul est petit-neveu d’un arrière-grand-oncle, Jean-Baptiste PIGALLE, 1714/ 1785.
Mercure attachant ses talonnières, 1753.
On ne sait si cette filiation prestigieuse l’influence, mais contre toute attente, c'est vers la sculpture que Paul Dubois s’oriente enfin avec succès. Chez Armand Toussaint qui l’accueil, il dessine, modèle et pétrit la terre avec passion. Grâce à cet homme remarquable qui l’initie avec patience, il trouve un sens à sa vie.
Encouragé par son Maître, il expose, pour la première fois, au Salon de 1857, référencé dans les catalogues sous le nom de DUBOIS-PIGALLE.
En 1858, il s’inscrit à l’École des Beaux-arts, mais réalisant qu'à 29ans il sera atteint par la limite d’âge pour se présenter au concours du Grand Prix de Rome, il quitte l’École au bout de quelques mois.
Toujours bienveillant à l’égard de son fils, François DUBOIS le dote d’une généreuse pension qui lui permet de s’installer à Rome pour étudier les sculptures antiques et surtout celles de la Renaissance. Bien qu’il n'en soit pas pensionnaire, à la Villa Médicis, il s’y fait de nombreux amis, rencontrant les sculpteurs Henri CHAPU
et Alexandre FALGUIÈRE, ou le peintre Jules DIDIER,
Ainsi que Georges BIZET, mentor du très jeune compositeur Émile PALADILHE, qui en 1860 est le plus jeune 1er Grand prix de Rome de toute l’histoire de ce prix, alors seulement âgé de 16 ans.
Avec eux se tisse d’indéfectibles liens, passant leurs journées au Musée du Vatican, à croquer, dessiner, assimilant les techniques. Faisant de nombreux voyages, les pas de Paul l’emmènent à Florence, Sienne, Venise, Orvieto, Assise, Milan, Bologne, Pise ou Naples, découvrir les Primitifs italiens, et la sculpture de la Renaissance italienne qui marqueras durablement son œuvre.
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Pour son 1er envoi au Salon de 1863, un Saint Jean-Baptiste enfant et un Narcisse révélant son inspiration tout autant helléniste qu’italienne lui vaut une médaille de deuxième classe, mais aussi le début d’une renommée.
Plâtre Saint Jean Baptiste enfant.1861
Bronze Saint Jean-Baptiste enfant.
Plâtre, Narcisse. 1863
1867, Narcisse, Second marbre taillé d'après le plâtre de 1863 - Le premier de 1866 décore la cour carrée du Louvre
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Revenu de son séjour italien, Paul DUBOIS épouse en décembre 1863, Henriette Pelletier issue de la bonne bourgeoisie chartraine par sa mère, Adélaïde LEVASSOR d’ORMOY. Son père, Alphonse Pelletier, dirige l’Administration Générale de la Préfecture de la Seine.
Henriette Pelletier, 1840/1911
Le jeune couple s’installe dans un petit logis du boulevard Saint-Michel, au coin de la rue Soufflot. Pour Paul c’est juste 2 minutes à pied pour rejoindre son atelier au 68 de la rue d’Assas.
Les ateliers au rez de chaussée a droite.
Au fond d’un passage il y avait là, l’école privée André-Hamon créée en 1637. Dans le bâtiment de droite sera fondé en 1895 le patronage Ollier et dans celui de gauche, les ateliers d’artiste.
Dans la cour, les élèves croisaient les modèles se hâtant rejoindre les artistes. Pour eux, elles ressemblaient bien plus aux déesses de la mythologie qu’aux saintes du paradis promis par le curé Hamon. Aujourd’hui les lieux sont occupés par le Collège et le lycée Saint-Sulpice.
Là, Paul Dubois travaille la cire qu’il préfère modeler à l’argile, pour sa plus grande souplesse. Très exigeant, souvent insatisfait de lui-même, il recommence, malaxe, triture, comme le lui a appris son maitre, Armand Toussaint.
En 1864, deux jours après noël, né un garçon, Paul François, et 4ans plus tard, son cadet, Louis.
Paul François, Directeur de la Compagnie des Chemins de Fer d'Orléans 1864-1953
Louis Paul, Historien 1868-1937.
Mes Enfants, Louis 8ans et Paul 12ans.
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Avec Eugène Delaplanche, Antonin Mercié, Alexandre Falguière, Il fait alors partie du Groupe des Florentins. Revendiquant leur filiation au Quattrocento, ils développent dans les années 1860 un style dit néo-florentin.
Danseur et Musicien Florentin, Carrier Belleuse.
Chanteur napolitain, 1886, Justin-Chrysostome Sanson 1833/1910.
Le Sculpteur florentin, Bronze, 1883, Alfred Boucher 1850/1934.
Paul Dubois est l’un des premiers sculpteurs à s’émanciper de la référence antique au profit de modèles empruntés à la Renaissance italienne, notamment florentine, qu’il a longuement observés lors de son voyage en Italie.
Le Chanteur Florentin du XVème siècle, en est directement inspiré. La douceur du modelé, le subtil déhanchement ou encore la légère inclinaison de la tête lui donne une grâce qui rappelle celle du David de Donatello.
La silhouette gracile et élégante du jeune garçon, âgé d’environ 15ans, aux volumes lisses et longilignes des jambes, contraste avec le buste particuliérement ouvragé.
Le pourpoint sans manches, bien dégagé de la chemise, semble lui être posé dessus. Les plis du tissu donnent une vérité à la pose, notamment ceux des chausses très ajustés, aux fesses ou derrière le genou.
Mais aussi, description précise et fidèle des détails du pourpoint, boutons des manches, cordes et clés de l'instrument, ciselure des cheveux, lacets des chaussures...
A noter la boucle de ceinture orné d'un macaron. Le dieu Pan de la mythologie aux cornes de chéves. Dieu de la nature, des bergers et de la musique rustique.
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Les chausses habillent la partie inférieure du corps, des hanches jusqu'aux pieds, prémices au Moyen Âge de ce qui deviendra pantalon. Coiffé du bonnet traditionnel des adolescents du XVem siècle, ce qui attire et fait commentaires pudibonds, c'est la place donnée à la « braguette »
Cette pièce triangulaire couvrant l'ouverture du haut-de-chausse est attachée par des aiguillettes, sortes de lacets passés dans des œillets.
Pièce d'étoffe très colorée, souvent rembourrée, c’est une valorisation autant qu'affichage de "l'entrain" de son propriétaire. Cette « poche » sert aussi à garder un mouchoir, cacher sa bourse (sic) et ses monnaies, et même, dit-on, pour le faire mûrir, le fruit à offrir.
Pinturicchio, détail, Libreria Piccolomini.
Franco Zeffirelli, Capulet contre Montaigu, Roméo et Juliette 1968.
Le mot venant de l'italien « brachetta » et du latin « braca », pour « poche », la mode évoluant, les hommes portent sur la chemise, une sorte de veste, le pourpoint et un bas moulant, les chausses. Les deux, étant attachés l’un à l’autre par des aiguillettes. D’abord assez long, le pourpoint va se raccourcir jusqu’à la taille, dévoilant l'entrejambe qui étant ouvert est recouvert par cette brachetta.
Jacopo Pontormo - Halbardier, 1530.
Très vite va se développer une mode issue des armures militaires, des coquilles en métal portées par les soldats garnissent triomphalement l'entrejambe des nobles.
braguette-coquille Renaissance aux formes diverses et variées.
Du simple bout de tissu, la braguette devient alors une poche rembourrée destinée à faire l’éloge flamboyant d’une virilité affichée avec fierté.
Charles Quint et son chien, Jacob Seisenegger, 1532-1533.
Avec la Renaissance, cette braguette capitonnée va prendre des formes de plus en plus impressionnantes et suggestives. Elle s’orne par la même occasion de rubans, de dorures, de joyaux.
Portrait de Louis XIV enfant. Attribué à Jean Nocret, vers 1650, arborant la « petite oie », tablier de nœuds de rubans à hauteur de braguette.
Parures de pavane jusqu’au XVIe siècle, âge d’or de la braguette, La virilité des hommes s’expose au moins autant que la poitrine.
Est-ce la raison pour laquelle Paul Dubois fait poser cette argenture sur le bronze ? Accentuant ainsi le caractère précieux de l'œuvre, qui fait hésiter entre sculpture et orfèvrerie, comme hier, le parant d’atours chatoyants.
Dans sa critique de l'oeuvre, le journaliste Édouard Charton écrivait : « cette statue à ce que d'autres n'ont pas, le charme et la vie ». Et Louis de Laincel trouve que « le réalisme de l'œuvre est tel qu'il nous semble l'entendre chanter ».
Remarques à double sens pour évoquer sans le dire, ce qui attire tous les regards.
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Avant même de voir la statue, Le Chanteur Florentin aurait inspiré François Coppée pour l'écriture de son poème, Le passant,
François Coppée 1842/1908, ici à 20ans,
« … Un pâle et maigre enfant à l'allure bizarre S'approche et voit la reine assise en son château. Celle-ci l'aperçoit qui descend du coteau. Étonnée, elle tend son svelte cou de cygne Et de sa main exquise lui fait un signe.
Il monte, tout tremblant déjà d'un vague émoi, Et la reine lui dit : « Chante et divertis-moi. » Et le petit chanteur, tout fier au fond de l'âme, Prélude ; mais soudain, en voyant cette femme Si belle lui sourire et le considérer, Il jette au loin son luth et se met à pleurer."
À découvrir sur le site https://www.poesie-francaise.fr/francois-coppee/poeme-le-passant.php
Buste de Paul Dubois, 1879 par le jeune Vincenzo Gemito, 27ans
Quelques autres œuvres de Paul Dubois,
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EXERGUE:
Les illustrations de Pinturicchio sont le détail de fresques des Scènes de la Vie de Pie II, situé dans la Libreria Piccolomini de la Cathédrale de Sienne, réalisées en 1505/07 par Pinturicchio, né Bernardino di Betto 1452/1513.
Dans la scène 3, « Énée Piccolomoni couronné poète par Frédéric III », au premier plan, Pinturicchio donne à ces deux jeunes pages une attitude équivoque qui semble ne pas être uniquement amicale avec ce visage énamouré de l'un regardant l'autre poser sa main sur son épaule.
Dans la scène 9, « Canonisation de Catherine de Sienne », selon certaine légende, le personnage en bas à gauche serait Raphaël Sanzio.
Raphaël, nom francisé de Raffaello Sanzio est arrivé à Sienne en 1502 à l'invitation de Pinturicchio, qui avait été, comme lui, élève du Pérugin. Récemment nommé « maître », c'est-à-dire pleinement formé, en décembre 1500,
à 19ans il vient aider son ami, beaucoup plus vieux et en plein déclin ; Préparant les cartons pour les fresques, dont la 1ére des 10 fresques, celle du Départ d'Enea Silvio Piccolomini pour Bâle, est attestée être de sa main.
Merci de votre visite, à suivre prochainement, le sculpteur americano-norvégien Hendrick Christian Andersen, ses sculptures surdimensionnées, sa relation avec Henry James et sa Cité Utopique le "World Centre of Communication"